Luigi Maccalli. Les cadeaux du désert

Un grand soulagement pour les familles spirituelle et biologique. Le 17 septembre 2018, pendant la nuit, on frappe : « ce sont des gens qui viennent chercher des médicaments en urgence ! », se dit-il. Il sort donc en pyjama, mais avec ses lunettes –heureusement pour la suite- Il est enlevé –yeux bandés, poignets attachés, en moto pour un très long voyage ; du Niger au Mali par le Burkina-Faso ! A partir du 5 octobre, il est enchaîné pendant 22 jours, nuit et jour en plein désert du Sahara, parce qu’un couple otage avait réussi à s’échapper ! Nouveau déplacement, prison à ciel ouvert, perdu au milieu de nulle part, plus besoin de chaînes ! 

Le 28 octobre 2018 : une première vidéo est adressée au gouvernement italien, déclarant qu’il était otage de l’Islam et des musulmans, Aqmï et Al-Quaïda ayant fait alliance. Des tractations sont en cours. Endroit sans arbre, six mois seul, souvent déplacé. Puis arrive un autre otage italien Luca ; partage de captivité, espoir de négociation. Mais un an a passé ! Ramené dans un désert de pierres ; connaissance avec un 3ème otage. 

Le 5 février 2020 : "vous serez libéré avec Luka (et sa copine)". Or les négociations n’ont pas abouti ! Luca et Edith s’enfuient la nuit : je me retrouve enchaîné du soir au matin jusqu’au 8 octobre ! La veille, un Pick-up arrive ! Fini ! Libération ; dernière nuit sous les étoiles du Sahara. Photos avec les militaires maliens et représentants du gouvernement ; route pour Tessalit et l’avion pour Bamako et enfin l’Italie. Grand voyage intérieur et extérieur : se sentir oublié, crier vers Dieu. "Pourquoi m’as-tu abandonné ?" 

Une minute de silence. Questions ou commentaires. As-tu souffert de la faim, de la soif, du froid ? 

J’ai versé des larmes, oui j’ai pleuré… Après ce temps de désolation, mois après mois, j’ai réalisé que, moi, missionnaire enchaîné, j’étais « libre de cœur » et j’ai prié pour toute personne enchaînée, j’ai prié pour la paix, pour les persécuteurs. Je me suis fait un chapelet avec une bande de tissus qui me protégeait du soleil. Je priais Marie et l’Esprit Saint, Marie a engendré la Parole de Dieu et à la Pentecôte, l’Eglise naît ! Aujourd’hui, homme libre, je rends grâce à Dieu et je remercie tous ceux qui m’ont accompagné de leurs prières. Ces 2 ans sont peut être les plus féconds de mon ministère. Bien sûr mes geôliers m’ont encouragé à me convertir à l’Islam ; cela aurait sans doute simplifié les choses ! Mais je célébrais à ma façon, chaque dimanche à l’écart, dans le sable : "ceci est mon corps livré ; ceci est mon cœur brisé" ; rien d’autre à offrir et chaque jour est nouveau ! Le ciel étoilé me donnait espoir ; même la nuit obscure a de petites lumières ; Psaume 8 : "qu’est ce que l’homme pour que tu penses à lui ?" Je me trouvais en communion avec Celui qui a créé terre et ciel ; je voyais l’étoile polaire et parfois la croix du sud. l’Alpha et l’Oméga sont est avec moi, petit grain de sable dans l’univers ! Ma foi me dit : cet univers à un sens, une direction et je m’endormais en pensant : demain que sera-t-il ? Oui, je rends grâce à Dieu pour tous ceux qui m’ont soutenu. Le désert m’a habitué plutôt au silence qu’à la parole, mais je suis disponible pour répondre à toutes les questions. 

  • J’ai souffert du froid et de la chaleur, de la soif, oui mais pas de la faim. Mes geôliers tenaient à ma survie : belle monnaie d’échange. Je pense qu’ils ont demandé la libération d’une centaine de djihadistes pour un seul otage. Ils me nourrissaient de légumineuses (lentilles) surtout ; une sardine parfois, du riz, des oignons, de la viande très rarement et pour la couper, ils m’ont donné un couteau que j’ai gardé (j’ai ainsi pu tailler 2 petits bouts de bois pour me faire une croix démontable pour ne pas les fâcher). J’ai perdu 22 kg, mais je n’avais pas faim.

 La soif ? Oui –que l’eau est précieuse- on m’en donnait très peu et j’en gardais un peu pour me laver au moins le visage ; autrement je me frottais les mains avec le sable comme font les musulmans pour leurs ablutions ; beaucoup de thé vert. Froid ? pas trop : ils m’ont habillé, je ne pouvais pas rester en pyjama pendant l’harmattan si froid ! boubou, blouson, chaussette, 2 couvertures… 

 T’es-tu senti en danger ? 

  • Le jour du kidnapping oui, avec la menace d’une balle dans la tête, alors attention à ce que je dis, je fais, ça peut mal tourner. J’étais préparé à tout, mais plus les jours passaient, plus mes craintes diminuaient ; peur aussi dans cette vallée de vipères, j’en ai vu plusieurs. La compagnie d’autres otages à certains moments –Luca et sa copine Edith- m’a beaucoup aidé (ils ont pu fuir), et un certain Nicolas…

 Comment se repérer dans le temps sans calendrier ? 

  • J’ai toujours gardé en tête la date et le jour de la semaine, en écrivant dans le sable, puis on m’a donné un bic et une feuille, je notais 97 jours…107…. me sentant parfois relié par une date importante : par exemple l’anniversaire de mon frère. 

 Les relations avec ces jeunes radicalisés ? 

  • Ils étaient assez jeunes "shibani". Je priais en marchant (quand on m’enlevait les chaînes) matin et soir, même s’ils me disaient que c’était inutile ! Ils m’ont donné un Coran, je leur lisais quelques passages, la plupart étaient analphabètes. Eux-mêmes ne sont-ils pas otage d’un système ?

 Et maintenant ?   

 Je retiens : 

  • l’essentiel de la vie est la relation. Dormir par terre, ce n'est pas un problème, mais le manque de communication ! Dieu nous a tissés pour la relation.
  • Le désert ? Grand silence extérieur et intérieur. J’ai perçu le silence de Dieu, mais à la longue, j’ai perçu que Dieu était là ! J’ai toujours annoncé la Parole de Dieu. Pendant 30 ans elle m’a façonné.

 

Le désert m’a fait 3 cadeaux : 

  • Une forte communion avec toutes les victimes innocentes
  • L’eau dans le désert, essentielle pour la vie (la survie). Il faut creuser des puits profonds.
  • La prière, le pardon. Sur la croix Jésus-Christ pardonne et le pardon engendre la vie – Résurrection !

J’ajoute que le souvenir de mes parents m’a soutenu, ils m’ont toujours dit : "Soyez fidèles ! Malgré tout ce qui peut arriver." Maintenant je ne sais pas ce qui m’attend. J’essaie et reste en communion avec Dieu qui est père et mère.                                                                

 Propos recueillis par Sœur Marie-Claude SOHIER